Semiramide, La Signora regale
Une palpitante recherche musicologique débouchant sur un album passionnant : le cas est trop rare
pour que la discothèque de L’Avant-Scène Opéra le néglige, nonobstant sa prédilection pour les
intégrales d’opéras. Car c’est presque à un vaste opéra imaginaire que nous sommes ici conviés,
dont l’unique protagoniste serait la protéiforme Sémiramis, monarque de Babylone (?). Aventurière,
épouse dévouée, conquérante hardie, reine incestueuse, meurtrière, féministe avant l’heure, femme
de tête ou mère effacée ? Le mythe et l’histoire ne concordent guère, ainsi que nous l’apprend
la notice très documentée (traduite en trois langues) de Davide Verga. Quoi qu’il en soit, durant
près de trente siècles, cette figure semi-légendaire a exercé sa fascination sur les artistes
(notons la fort riche iconographie du livret) et, notamment, sur les musiciens.
Ces deux disques nous donnent un aperçu varié des partitions suscitées par l’héroïne entre 1725 et 1828,
au fil de livrets tantôt flatteurs (Zeno, Métastase), tantôt accusateurs (Rossi, Sografi), tantôt parodiques (Martinelli).
Et c’est tout un chapitre d’histoire de la musique, évoluant du baroque au romantisme, qui défile en quinze
morceaux représentatifs… La partie consacrée au XVIIIe siècle culmine avec le toujours expressif Jommelli
et, plus encore, avec la cantilène galante et somptueuse de l’obscur Andrea Bernasconi (1706-1784), tandis
que celle vouée au XIXe nous fait découvrir une incroyable scène de Sebastiano Nasolini (1768 ?-1798 ?),
fort en avance sur son temps, ou la réfection par le ténor Manuel García d’une prière de la Semiramide
rossinienne dont il avait été l’un des créateurs !
La volcanique mezzo italienne Anna Bonitatibus semble trouver dans l’Assyrienne le - ou plutôt les - rôle(s)
de sa vie : perfection du style, fermeté de la diction, justesse et aisance de l’ornementation, sensualité des
accents et, surtout, intensité de l’expression (les parties « B » des arias sont particulièrement bien « senties »)
emportent l’adhésion. Même si un certain assèchement du timbre et le vibrato serré rendent l’interprète
plus convaincante dans les intervalles impérieux de Borghi et le dramatisme de Nasolini que dans les
fioritures de Traetta ou le spianato de Bernasconi - ce qui étonne vu que Bonitatibus s’est jusqu’ici
plutôt illustrée dans le répertoire baroque. Pareillement, l’orchestre léger, incisif, coloré de Ferri
manque parfois de souplesse, de sens du cantabile et du rubato (dans Rossini et Vinci, notamment).
Vétilles au regard de la réussite d’ensemble à laquelle, une fois n’est pas coutume,
l’éditeur doit être pleinement associé.